Les outils de mesure de la performance de la gouvernance sont souvent fragiles ou imprécis, surtout au niveau international, où les comparaisons présentent de nombreuses faiblesses conceptuelles. Contrairement à d’autres secteurs publics, tels que l’éducation ou la santé, il reste beaucoup à faire pour établir des comparaisons internationales efficaces dans le domaine de la gouvernance. Cet article propose des indicateurs opérationnels pour mesurer la performance en gouvernance, en enrichissant le champ des études comparatives en science administrative.
La performance est généralement définie en termes de produits (outputs) et résultats finaux (outcomes), bien que cette définition soit purement fonctionnelle. Pour rendre cette notion plus opérationnelle, une approche « essentialiste » intégrant les valeurs du bien public est nécessaire. C. Hood classe ces valeurs en trois groupes : productivité, procédurale et structurelle, chacun ayant des implications différentes pour la mesure de la performance.
La performance de productivité est plus facile à mesurer, tandis que les performances procédurale et structurelle posent des défis conceptuels et méthodologiques. Les indicateurs de bonne gouvernance doivent refléter les valeurs et spécificités nationales, car ils sont des outils relatifs dépendant des objectifs de chaque pays.
Enfin, la gouvernance, concept de plus en plus large, nécessite une définition claire pour pouvoir être associée à celle de performance, permettant ainsi l’élaboration d’indicateurs pertinents pour évaluer la performance de la gouvernance.
Performance de la Gouvernance
Pour définir la performance de la gouvernance, il est essentiel de comprendre deux aspects fondamentaux de la gouvernance publique :
1. Fonction de Facilitation
La gouvernance publique ne produit pas directement de services ou de biens, mais elle agit comme une condition préalable pour permettre aux agences exécutives de remplir leur mission. Elle est essentiellement une « administration des administrations », facilitant le fonctionnement des bureaux et départements en contact direct avec le public. Dans la chaîne de production des services publics, les instances de gouvernance se situent au sommet, jouant un rôle crucial dans l’allocation de ressources comme le financement et le recrutement.
2. Nature Transversale
L’administration publique, dédiée à la mise en place de nouvelles politiques, agit de manière transversale, impactant tous les secteurs. Cette transversalité complique souvent la mise en œuvre de politiques uniformes à travers toutes les administrations, car elles peuvent être perçues comme contraires aux intérêts sectoriels spécifiques. Cela rend la collecte de données et l’établissement de modèles de performance standardisés difficiles.
Schéma No 2 : La Chaîne des Résultats
Les processus de gouvernance, représentés dans un schéma, montrent comment les fonctions horizontales telles que le financement et les ressources humaines sont des conditions préalables essentielles au fonctionnement efficace des bureaux publics. Ces processus délivrent des ressources (outputs) aux services publics, qui les utilisent comme intrants (inputs) pour leurs activités.
Conséquences sur la Construction d’Indicateurs
Ces caractéristiques entraînent deux implications majeures pour les indicateurs de performance de la gouvernance :
- Les produits de la gouvernance doivent être définis en fonction des ressources qu’ils fournissent aux entités chargées du service public.
- Les résultats doivent refléter la capacité de la gouvernance à améliorer la performance des autres secteurs, évaluant ainsi si les processus ont facilité leur efficacité.
Mesurer la Performance de la Gouvernance : Trois Illustrations
L’approche conceptuelle sera appliquée à trois aspects cruciaux : les pratiques budgétaires, les ressources humaines, et l’application des principes de transparence.
Le budget est un document clé qui retrace les dépenses et recettes publiques, et constitue l’instrument principal pour définir la politique financière et économique du gouvernement. Il suit un cycle budgétaire comprenant la formulation, l’approbation, l’exécution, et enfin le contrôle et l’évaluation. Le budget remplit plusieurs fonctions : autorisation (permet au gouvernement de dépenser et percevoir des impôts), dotation (répartition des ressources dans les secteurs), et gestion (outil de contrôle pour l’administration).
Les indicateurs permettent de mesurer la performance budgétaire en comparant les prévisions aux réalisations, en identifiant les écarts entre les recettes et dépenses prévues et réelles. Si ces écarts sont importants, cela réduit l’efficacité du budget en tant qu’outil de gestion et de politique. Une gestion efficace évite les problèmes comme la « fièvre de décembre, » où les services cherchent à dépenser tout leur budget en fin d’année.
Des facteurs externes comme la volatilité politique et économique, ainsi que des dépenses imprévues (catastrophes naturelles, par exemple) peuvent influencer la précision du budget. Une transparence budgétaire est essentielle, impliquant la communication en temps utile des données budgétaires, un pouvoir législatif efficace capable de contrôler et débattre du budget, et un rôle de la société civile dans l’influence des décisions budgétaires.
La stabilité budgétaire est également recherchée, avec des règles et prévisions permettant d’assurer l’équilibre entre dépenses et recettes. De plus, l’évolution du budget vers une planification stratégique pluriannuelle permet d’évaluer son impact à long terme. Le contrôle et l’évaluation, réalisés par des audits, mesurent la conformité juridique et financière ainsi que la performance. Par exemple, des audits de performance, comme ceux du National Audit Office au Royaume-Uni ou du Government Accountability Office aux États-Unis, mesurent l’efficacité des économies générées et l’amélioration des services administratifs. Ces audits offrent des résultats non financiers, comme la satisfaction des usagers et l’impact des recommandations.
En résumé, le budget joue un rôle central dans la gestion des finances publiques, mais son efficacité dépend de la précision des prévisions, de la transparence dans sa gestion, et de la rigueur dans son contrôle et son évaluation.
L’exemple de la gestion des ressources humaines
L’un des aspects fondamentaux de la gouvernance est la gestion des emplois publics. L’OCDE définit quatre dimensions de la politique de gestion des ressources humaines : (1) la gestion prévisionnelle des effectifs, (2) la gestion de la performance du personnel, (3) la flexibilité et la cohérence des règles de gestion des ressources humaines entre les différentes agences du gouvernement et (4) les valeurs essentielles du secteur public. Ce dernier aspect a été évoqué précédemment dans le chapitre sur les principes fondamentaux des indicateurs de performance en administration publique. Nous nous concentrerons sur les trois autres aspects pour définir des indicateurs de performance.
- Gestion prévisionnelle des effectifs
La gestion prévisionnelle des effectifs vise à s’assurer que les effectifs sont représentatifs de la population, de dimension adaptée, travaillant dans une structure appropriée et capables de s’adapter aux besoins en constante évolution. De cette définition, nous pouvons extraire plusieurs indicateurs.
Les effectifs doivent être d’une taille appropriée et bien structurés. La taille et le niveau de formation des effectifs peuvent être considérés comme des indicateurs d’entrée (input). Toutefois, c’est l’aspect « approprié » qui introduit une dimension de résultat (outcome), indiquant que le département des ressources humaines produit des effectifs bien formés et d’une taille adéquate pour offrir des services de manière continue et financièrement durable.
Un autre résultat clé d’une gestion efficace des ressources humaines est l’image d’un « employeur de choix ». Une étude menée par l’OCDE en 2002 a exploré les défis auxquels les administrations publiques font face en matière de recrutement et de rétention des talents. La durée des embauches peut aussi servir d’indicateur de gestion des effectifs. Par exemple, l’Office of Personnel Management (OPM) aux États-Unis utilise un indicateur de délai d’embauche, mesurant le pourcentage d’embauches réalisées dans un délai de 45 jours, ce qui constitue un standard pour l’efficacité.
Le taux d’embauche et le taux d’acceptation des offres d’emploi sont également des indicateurs de performance. Le taux d’acceptation est un bon reflet de l’attractivité de l’administration en tant qu’employeur et de sa compétitivité dans la quête de nouveaux talents.
- Gestion de la performance du personnel
Une gestion efficace de la performance vise à rendre la fonction publique suffisamment responsabilisée, motivée et flexible, tout en fournissant des services de manière productive. À partir de cette définition, nous pouvons définir plusieurs indicateurs de résultats.
Le premier est la satisfaction des employés. De nombreuses administrations réalisent des enquêtes de satisfaction pour évaluer divers aspects de la gestion des ressources humaines.
Le deuxième indicateur concerne l’absentéisme et les congés maladie. Une gestion des ressources humaines réussie se traduit généralement par un faible taux d’absentéisme, bien que des facteurs externes comme l’âge ou le type de travail puissent influer sur ces chiffres.
Le troisième indicateur est le taux de rotation des employés. Un faible taux de rotation, montrant une stabilité des employés, est souvent un indicateur d’attractivité et de réussite dans la gestion des ressources humaines.
- Flexibilité et cohérence des règles de gestion des ressources humaines
Les règles de gestion des ressources humaines doivent être flexibles et cohérentes entre les différentes administrations, minimisant les coûts de transaction lors de négociations et permettant un marché du travail dynamique. Cela favorise des équipes compétentes dans diverses activités du service public.
L’un des indicateurs clés dans ce domaine est la mobilité des effectifs. La mobilité interne au sein des administrations, ainsi que la possibilité de passer du secteur public au secteur privé, améliore la qualité des effectifs. Elle permet d’enrichir les compétences, d’encourager la circulation des idées et de prévenir des problèmes éthiques, comme la corruption.
L’exemple de l’application des principes de transparence
L’OCDE définit quatre niveaux de responsabilité et d’ouverture dans la gouvernance publique : la transparence, l’accessibilité, la réactivité et l’inclusivité. Ces dimensions sont interconnectées et mesurent différents aspects de la gouvernance responsable et ouverte.
- Transparence est la capacité d’un gouvernement à exposer ses actions et ses responsables à la vigilance du public. La réactivité et l’accessibilité garantissent l’accès à l’information et la capacité du gouvernement à répondre aux besoins des citoyens, tandis que l’inclusivité veille à la participation de tous les groupes sociaux.
Les indicateurs de résultats en matière de transparence incluent la mesure de l’utilisation effective des informations publiques, telles que les rapports annuels, les données de performance et les budgets prévisionnels. Par exemple, l’accès à la loi sur l’information et la consultation des rapports publics par des groupes d’intérêt ou des médias sont des moyens de mesurer la transparence.
Les politiques d’accessibilité visent à réduire la charge bureaucratique et à faciliter l’accès aux documents administratifs. Bien que l’impact de ces politiques soit difficile à mesurer directement, des indicateurs comme le nombre de plaintes traitées par des médiateurs ou la durée des listes d’attente pour accéder aux services peuvent servir d’outils d’évaluation.
Enfin, la réactivité du gouvernement est mesurée par la participation citoyenne dans les processus de consultation publique et l’intégration des résultats dans la prise de décision. Le nombre et la diversité des participants à ces consultations constituent un indicateur clé de la qualité de la réactivité d’un gouvernement.
Conclusion
Les indicateurs de performance en matière de gouvernance sont essentiels pour évaluer l’efficacité des politiques publiques, particulièrement dans les domaines de la gestion des ressources humaines et de la transparence. Si ces indicateurs sont souvent difficiles à construire et à mettre en œuvre, leur développement progressif peut conduire à une amélioration continue de la gouvernance. Le travail conjoint entre chercheurs et responsables politiques est nécessaire pour construire des indicateurs solides et pertinents, comme l’illustre l’évolution des indicateurs de comptabilité nationale et des indices sociaux.